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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/199

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faire du vin pour la noce, et on comprendra de quel cœur je travaillais. On commença de vendanger les vignes qui sont au-dessus de la Borderie, puis la vigne jeune, plantée dans le terme de la combe, et en dernier, la vieille vigne au-dessus de la maison. La mère Jardon et Nancy nous aidaient. Gustou boulait le raisin dans les comportes, et mon oncle et moi, quand elles étaient pleines, nous les portions avec des barres au fond du coteau où était la charrette pour les emmener. Mon oncle n’avait pas voulu que Gustou m’aidât à les porter, à cause de son épaule, quoiqu’elle fût bien guérie et qu’il enlevât un sac comme auparavant. Mais en descendant, une comporte de vendange pèse sur les bras, et un faux pas peut faire un mauvais contre-coup. Marion nous aidait bien quelque peu aussi, mais il lui fallait porter à déjeuner et la collation, et tout appareiller, en sorte qu’elle n’y faisait guère. C’était un plaisir d’être comme ça jeune, bien sain sous le clair soleil, à ramasser de belle vendange qui bouillait dans la comporte sitôt écrasée. Je me tenais près de Nancy, lui emportant son panier plein aux comportes, et babillant en coupant les grappes. Et quand nous nous mettions à l’ombre d’un arbre pour le mérenda, je me seyais encore près d’elle, et je lui coupais des petits croustets sur lesquels elle étalait du bon fromage de chèvre, et je lui choisissais de belles noix fraîches, ou une belle grappe de pied-de-perdrix. Je lui versais à boire avec la dame-jeanne aussi, mais guère, car elle ne buvait presque point. J’avais grand plaisir à la voir, les joues comme un de ces beaux percès de vigne que nous mangions, et jolie tout de même sous la mauvaise paillole qui la gardait du soleil. Ah oui ! c’est une belle chose que d’être jeune, fier, amoureux, de n’avoir point de soucis, et de vendanger gaiement à côté de sa mie, par un beau temps. On sent alors qu’il fait bon vivre, et on est tellement content qu’on voudrait voir tout le monde heureux.