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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/287

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pour plaider. Cet avocat avait une manie risible : tout en parlant, de sa main gauche il tenait sa robe serrée au corps et se penchait en avant, faisant craquer avec son gros ventre la boiserie où il s’appuyait, tendant le bras droit vers les juges, la main ouverte, comme s’il eût eu ses preuves dedans, et qu’il eût voulu les leur présenter. Avec ça, il avait une voix éraillée et criarde comme celle d’un canard, et mâchait et remâchait dix fois la même chose.

C’était un des premiers avocats de Périgueux pourtant, et on voyait qu’il savait bien des affaires, car il récita des articles de loi, parla d’un nommé Cujas, et fit des citations en latin, auxquelles je ne comprenais rien, pas plus du reste que quand il parlait en français, attendu sa manière d’embrouiller ses phrases. Quand il eut parlé pendant une heure et demie, il annonça qu’il avait fini et qu’il allait seulement, avant de s’asseoir, résumer rapidement les moyens de son client. Mais sous prétexte de ça, le voilà qui recommença de fond en comble à plaider. Tout le monde en soufflait ; enfin, après une demi-heure de plus, il s’assit, tira un foulard rouge de sa poche, et se mit à s’essuyer le front.

Notre avocat se leva alors. Celui-ci avait un autre tic ; il levait les bras tendus au-dessus de sa tête, par un mouvement brusque, comme font maintenant les élèves de notre école, lorsque le régent leur fait faire l’exercice du gymnase ; et tout d’un coup, il les laissait tomber de même, collés le long du corps, avec la fin de ses phrases. Ses grandes manches lui couvraient les mains, et se confondaient avec sa robe, de manière qu’on l’eût cru manchot des deux bras. Il avait avec ça une figure toute rasée et pâle, et ses cheveux noirs plaqués étaient coupés en rond autour de sa tête comme une belle calotte de curé, de manière qu’on l’eût pris pour un masque de carnaval, un pierrot en deuil.