Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/293

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enfin, la culotte et la veste du paysan sont déchirées, effilochées, rapiécées de morceaux de toutes couleurs, comme celles du pauvre qui lui demande la charité. C’est pour cela qu’il ne s’apitoie guère sur des misères qu’il subit lui-même. Le riche, qui connaît le bien-être, devrait compatir davantage au sort des misérables, le comparant au sien, quoiqu’il ne le fasse pas souvent malheureusement ; il aime mieux dire pour s’excuser de sa dureté : Ce sont des fainéants !

Le vieux Nicoud était bien brave homme et puis propre, aussi on le fit asseoir sur le banc, et ma femme lui apporta une grande pleine assiette de soupe chaude qu’il se mit à manger. Si ça avait été Jean Gautrou qui avait des poux, on ne l’aurait pas fait entrer, et avec ça ma femme avait beaucoup de peine de le laisser à la porte, et de lui porter, quand il venait, une assiette de soupe sous l’auvent ; elle disait qu’il lui semblait que c’était traiter un chrétien comme un chien.

— Que veux-tu, lui disait mon oncle, c’est sa faute : que ne se tient-il net comme Nicoud.

Quand le bonhomme eut mangé sa soupe, Gustou, qui était à côté, lui versa un bon chabrol dans son assiette, qu’il avala d’une coulée. Après ça, tout en mangeant un peu d’ordinaire, il nous raconta ce qu’il avait entendu, et nous engagea à nous méfier. Nous le remerciâmes de l’avis, et Girou lui dit qu’il n’y avait rien à craindre, qu’il nous avait mis en mains quinte et quatorze et le point.

— Tant mieux, dit-il, parce que voyez-vous c’est une mauvaise chose que les procès, ça ruine bien des maisons. Moi je n’avais pas grand’chose, mais enfin j’étais chez nous, et ce sont les procès qui m’ont fait prendre le bissac, par la faute de ce gueux de Laguyonias.

Nous ne nous pressâmes pas trop de déjeuner, de