Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/353

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bout du compte j’y serais allé, à quoi ça m’aurait-il servi ? peut-être à rien du tout, comme il arrive à tant d’autres. Je veux que je sois arrivé à une position plus grande que celle de meunier ; je n’en serais pas plus heureux, et probablement je le serais moins. Certainement l’instruction est une bien bonne chose et désirable pour tous : un paysan bien instruit en vaudrait deux. Malheureusement, ça rend souvent ambitieux, et ça fait mépriser la terre. Et puis après, j’y reviens, c’est une dépense que nous n’avons pas le moyen de faire.

— Écoute, dit mon oncle, pour ce qui est de la dépense, tant que je pourrai travailler, je gagnerai bien dans mon commerce de quoi l’entretenir là-bas. On pourrait le mettre en pension chez quelqu’un ; Lavareille le prendrait, pour sûr, et il irait au collège ; ça ne coûterait pas autant de cette manière. Il faut bien que les enfants des paysans, s’ils ont des capacités, apprennent pour se rendre utiles au pays, puisque beaucoup de riches ne veulent plus travailler et ne pensent qu’à faire la noce. Le tout est de savoir si le drole a des moyens. Je le mènerai jeudi à M. Tallet, qui verra la chose.

Bernard, entendant ça, leva les veux et dit :

— Oncle, je te remercie.

Et tout le monde fut content de cet arrangement, et les enfants se mirent à babiller là-dessus, après souper, demandant à Bernard ce qu’il voulait faire : s’il voulait être instituteur, ou juge, ou curé, ou médecin ? Et lui ne voulait pas être curé, oh ! non ; pour le reste, il ne savait pas trop. Pourtant, il aurait aimé à être médecin pour nous soigner dans nos maladies.

En finale, tout s’arrangea comme mon oncle avait dit. Chez Lavareille prirent le drole en pension et le voilà allant au collège.

J’approche d’une triste époque, et il me fait deuil