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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/354

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de parler de nos malheurs. Mais il le faut pourtant, pour ne point laisser de vide dans mon récit et aussi pour expliquer des choses qui suivront. Mais, avant de commencer, il faut que je dise qu’en 1869, M. Masfrangeas prit sa retraite. Il y avait quarante ans qu’il était entré à la Préfecture, et il y en avait plus de vingt-cinq qu’il était chef de bureau. Il avait espéré un moment passer chef de division, et il en avait eu la promesse, mais d’autres plus heureux et bien protégés, lui avaient passé sur le ventre, comme c’est l’habitude. Pourtant, c’était un homme travailleur, consciencieux, d’un jugement sûr, qui maniait bien les affaires et les expédiait vite. Mais voilà, il n’était pas flatteur, ni intrigant, il n’avait pas l’échine souple et ne savait pas se faire valoir ; toutes choses sans lesquelles on n’avance guère dans les administrations.

La retraite de M. Masfrangeas nous rendit toute notre liberté vis-à-vis du maire, M. Lacaud. Tant qu’il avait été dans sa place, nous nous étions retenus, de crainte qu’il ne lui fit du tort, en essayant de le rendre solidaire de notre conduite. Mais, depuis que nous n’avions plus cette crainte, nous ne nous gênions plus, mon oncle surtout. Dans leur jeunesse, ils se tutoyaient tous deux, M. Lacaud et lui ; mais depuis longtemps, M. Lacaud, — du Sablou, — comme son père l’avait fait enregistrer à la mairie, avait cessé ces familiarités, et de son côté, mon oncle ne lui parlait plus, à cause de M. Masfrangeas.

Ce pauvre homme, voyant ça, ne s’était-il pas imaginé qu’il nous imposait ; que nous avions peur de lui ! mais il fut bien détrompé.

Dans les premiers mois de 1870, on commença à parler dans nos campagnes qu’il fallait voter pour l’Empereur. Personne ne comprenait ce que ça voulait dire. Pourquoi voter encore, puisqu’il était empereur, qu’il faisait tout ce qu’il voulait, qu’il disposait