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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/367

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sifflement des balles, le fracas des obus, et cette brave jeunesse courant en avant, dans la fumée, laissant à chaque pas des camarades couchés à terre. Il nous donnait le nom de ceux de notre connaissance ou des environs, tombés, morts ou blessés. Que dirai-je ! en apprenant cette victoire il nous vint un rayon d’espoir qui ne dura guère malheureusement.

Et puis vint le découragement qui rendait inutile le dévouement de quelques-uns. C’est alors que revinrent chez nous deux ou trois jeunes gens, soi-disant malades ou en congé, mais qui étaient tout bonnement des traînards, qui avaient perdu exprès leur corps et s’en étaient revenus au pays. Le sentiment de l’honneur et du devoir était tellement éteint chez eux, qu’ils n’avaient point de honte de leur conduite, et se montraient comme s’ils n’avaient eu rien à se reprocher. Et les autorités, molles et sans patriotisme, fermaient les yeux, au lieu de les signaler comme déserteurs.

C’est terrible à dire, mais moi je crois fermement que, si toutes les villes fortes s’étaient défendues comme Belfort, toutes les villes ouvertes comme Châteaudun ; si tous les soldats avaient fait leur devoir comme l’ancienne armée, les marins, les mobiles de la Dordogne et quelques autres corps ; si tous ceux qui tenaient un fusil avaient été enflammés par le patriotisme des volontaires de la République ; si toutes les autorités, civiles et militaires, avaient été animées de cet esprit de résistance et d’indomptable énergie qui débordait dans celui qui n’est plus, la guerre se serait terminée autrement.

Mais tout se paie, et ce n’est pas sans en pâtir, que tout un pays se livre comme la France l’a fait en 1852 ; ce n’est pas sans en valoir moins, qu’un peuple s’abandonne et s’endort pendant dix-huit ans, oublieux de toutes les vertus civiques.

Je passe sur ces tristes choses, il me peine trop