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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/427

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se sont ruinés, tandis que les autres faisaient fortune.

Cependant, mon oncle avait ses quatre-vingt-deux ans passés, et il était toujours en bonne santé. Sa barbe et ses cheveux étaient blancs comme neige ; mais au demeurant il n’avait point de grandes infirmités, entendant bien, lisant sans lunettes et marchant encore avec son bâton, quoiqu’il eût quelquefois des douleurs. Son ami Masfrangeas était mort il y avait un an, et il disait quelquefois que ça serait bientôt à son tour.

— Bah ! faisait Hélie, toi, oncle, il faudra te tuer à coups de bonnet de coton !

Et ça le faisait rire, car rien ne plaît plus aux vieux que de leur dire qu’ils sont bien fiers. C’était la pure vérité pour mon oncle, mais, à cet âge, il ne faut pas grand’chose pour les déranger.

Dans le commencement de l’année 1889, il sentit quelque peine à remuer son bras gauche : encore tant mieux, dit-il, que ça ne soit pas le droit. Il ne sortit pas de tout l’hiver, ayant peine à se réchauffer, de manière qu’il fallait lui mettre le moine dans le lit. Nous avions fait arranger à Périgueux un de ces grands fauteuils qu’il y avait dans le grenier de Puygolfier, et il passait ses journées devant le feu, tisonnant avec son bâton, et quelquefois lisant quelques pages dans ses vieux livres, qui étaient marqués aux endroits qu’il prisait le plus. Dans la journée, ma femme ou Victoire, ou la grande Mïette, étaient toujours là, et ça le gardait d’ennuyer. Le soir nous autres lui lisions le journal, et comme, dans l’Avenir, il était souvent question du Centenaire de la Révolution, il disait quelquefois :

— Je voudrais bien tout de même aller jusqu’au quatorze juillet !

Ça le réjouissait de savoir qu’on fêtait la République, et les souvenirs de la Révolution qu’il tenait de son père et de son grand-père, lui revenaient à la