Aller au contenu

Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

main de mon oncle et voulut prendre celle du maquignon pour les rejoindre, mais l’autre cachait la sienne sous sa blouse, derrière son dos. Oh ! il ne taperait pas à trente-cinq pistoles, jamais de la vie ! Est-ce qu’on voulait lui manger les foies ? La mule lui en coûtait trente-huit, à la dernière foire de Niort ! Une bête comme ça ! douce comme un agneau ! et il allongeait un petit coup de manche de fouet sur la croupe de la bête qui tressautait.

— Allons, disait l’accordeur, baillez-moi votre main !

— Non, ferai pas ! le diable m’écrase !

— Donnez-la ! je vous dis ! allons foutre !

— Non ! non ! Je ne peux pas, là !

Et il détournait la tête comme s’il se fût agi d’avaler une médecine.

Enfin l’accordeur lui attrapa la main, et la tira de force pour la mettre dans celle de mon oncle : maintenant il fallait le faire taper.

— Tapez là ! tapez là, je vous dis !

— Mais vous me saignez ! criait le maquignon.

Et il avait la voix piteuse et la figure malheureuse. On aurait juré à le voir qu’il était contraint et forcé.

Enfin, comme tous ceux qui étaient là autour, à voir faire le marché, lui criaient : Tapez ! tapez ! La Jeunesse ! Allons, tapez ! moitié de son gré, moitié par force à ce qu’on aurait dit, il tapa : tout doucement d’abord, suivant le mouvement que lui donnait l’accordeur, puis plus fort, et enfin, s’étant décidé, il conclut seul le marché par deux ou trois fortes tapes dans la main de mon oncle en disant :

— Si je fais beaucoup d’affaires comme ça, je ferai banqueroute, c’est sûr.

Après le marché, il fallut aller boire le vinage au Coq Hardi, avec l’accordeur. Tout en buvant, mon oncle aligna sur la table trente-cinq pistoles en écus de cent sous qu’il tira d’une ceinture en cuir. Alors