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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/76

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par les bourgeois, personne ne s’y trompait ; tous nous autres paysans, nous comprenions bien, qu’elle était faite pour que nous ne chassions pas, nous qui nourrissons le gibier, afin que les messieurs pussent tirer plus de lièvres et de perdrix. Ce n’était pas tant pour l’argent qu’elle devait rapporter au gouvernement, que pour ça, qu’elle avait été faite. Aussi M. Chavoix qui nous connaissait bien, lorsque nous l’eûmes nommé représentant du peuple, il fit tout le possible pour la faire ôter, mais il y avait trop de gens intéressés à ce qu’elle restât, et il ne put jamais y arriver.

Tandis qu’on causait comme ça dans le foirail ou sur les places, lorsque les gendarmes venaient à passer, avec leur grand chapeau bordé, leurs habits à queue, leurs buffléteries jaunes croisées sur la poitrine on ne parlait pas haut, et on avait l’air de causer du prix du blé ou des cochons, ou de choses comme ça. Eux cependant n’avaient pas l’air commode avec leurs moustaches en brosse et leurs petits favoris, et je me donnai garde qu’ils nous regardaient beaucoup en passant, et principalement mon oncle. À cette époque, on ne voyait guère de gens barbus, surtout dans nos pays, et ceux qui avaient leur barbe étaient regardés, je ne sais pas pourquoi, comme des républicains, des pas grand’chose, des communistes, enfin des gens qu’il fallait surveiller. Mon oncle, barbu comme il l’était, passait pour un homme dangereux, à ce que j’ai su depuis. Mais ça, c’est des idées bêtes comme les gens s’en mettent quelquefois dans la tête. Roux-Fazillac, Elie Lacoste, Lamarque, Bouquier, et tous les autres conventionnels qui ont fait guillotiner Louis XVI, étaient bien rasés, et n’avaient pas tant seulement un poil aux joues, pas plus que ceux qui ont commencé la Révolution, Mirabeau et les autres. Ce n’est pas la barbe qui fait les révolutionnaires ; mais à cette époque les gens en place croyaient ça.