Page:Eugène Le Roy - Les Gens d’Auberoque, 1907.djvu/150

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lorsqu’elle tirait les cartes à ses visiteurs, ou leur faisait des réussites inventées par son époux. Mais où cela devenait drôle, c’était lorsqu’elle voulait faire de la politique et raccoler des partisans à son frère. Il fallait une certaine force de gravité pour ne pas pouffer de rire en l’entendant bavarder à tort et à travers sur les affaires publiques, se servant de mots qu’elle n’entendait pas, répétant à contresens, comme un perroquet mal stylé, des phrases banales ouïes dans la bouche du conseiller. Et puis brouillant tout, confondant tout, et d’une cocasserie irrésistible dans le genre sérieux, avec, çà et là, des échappées légères qui sentaient la garnison et scandalisaient parfois les prudes, — lorsqu’elles comprenaient.

M. Duffart voyait tout cela : il sentait bien qu’au lieu de lui concilier des sympathies, sa sœur lui faisait du tort ; mais le moyen de l’en empêcher ? Il ne fallait pas parler de la laisser au logis, car mademoiselle n’entendait point faire la Cendrillon ; et, comme elle avait de la volonté, même de l’entêtement, le conseiller était bien obligé de la subir. Le pauvre homme, puissant à la préfecture, connu dans les ministères, familier avec les hôtes du Palais-Bourbon, ne « portait pas les culottes » chez lui, pas plus qu’un simple Foussac. C’était mademoiselle qui congédiait les bonnes, percevait ses rentes, le traitement de monsieur, et tenait le porte-monnaie.

Lui, toujours besoigneux, était à sa merci, car ce