Page:Eugène Le Roy - Les Gens d’Auberoque, 1907.djvu/315

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sait l’abomination de la désolation prédite par le prophète Daniel. Le pauvre garçon n’en dormait plus. Il se représentait l’hérésie s’implantant dans le pays, et peu à peu s’étendant et se propageant comme une sorte de phylloxéra religieux, et cette vision le tourmentait horriblement. Mais il était courageux : après s’être lamenté, il résolut de barrer le chemin à l’antique ennemi et commença sur-le-champ à parcourir la commune de Charmiers.

Dans chaque maison, il s’efforçait de faire renoncer les paroissiens à ce projet impie, se servant de tous les arguments, parlant à chacun selon son état, prenant les uns par l’intérêt, d’autres par les sentiments, d’aucuns par la peur de l’enfer, se faisant ainsi tout à tous, comme l’apôtre. Dans ses prônes dominicaux, il conjurait les quelques fidèles qui allaient encore provisoirement à la messe, de résister vaillamment à la séduction et de maintenir la vieille religion de leurs ancêtres. Mais il avait à lutter contre la haine féroce que les gens de Charmiers portaient à leurs voisins, et contre l’indignation que tous ressentaient d’avoir été sacrifiés par l’autorité ecclésiastique, en sorte qu’il prêchait, comme l’autre, dans le désert. Pourtant, de rares bonnes femmes se laissaient quelque peu émouvoir, lorsqu’il leur représentait cette église, où elles avaient été baptisées, communiées pour la première fois et mariées, profanée par l’hérésie et devenue la maison du diable : domus