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qu’il avait occupés, il avait vu les musulmans à Smyrne, les protestants à Genève, les brahmes à Calcutta, les juifs au Ghetto, les catholiques à Saint-Pierre, et cela lui avait donné sur ce point une philosophique indifférence entretenue par un commerce suivi avec le « patriarche de Ferney », comme on disait encore alors.

Au physique, M. de La Ralphie était un homme de cinquante ans, brun, grand, svelte, large d’épaules, d’une figure agréable, rasée selon la mode du temps, sauf des favoris diplomatiques qui commençaient à grisonner : dans sa jeunesse, il avait dû être ce que l’on appelait « un beau cavalier ».

En temps ordinaire et chez lui, sa mise était des plus simples. Une veste de toile l’été, de gros drap l’hiver, un pantalon à pont-levis, un grand gilet boutonné carrément, une cravate de taffetas nouée à la Colin et un chapeau de feutre mou, toujours renfoncé d’un coup de poing, indiquaient assez qu’il avait renoncé aux élégances de jadis. Pour chasser et courir ses terres, M. de La Ralphie portait de gros souliers avec des guêtres et, quelquefois, par les temps de neige, ne dédaignait pas une bonne paire de sabots. Lorsqu’il allait à cheval, en voyage, il était vêtu d’une grande redingote de drap bleu-de-roi, boutonnée militairement, coiffé d’un chapeau haut de forme, à la Robinson, et chaussé de bottes souples qui lui venaient jusqu’au dessous du genou.

Un matin de la fin d’octobre de l’année 1835, donc, M. de La Ralphie s’étant levé de bonne heure, selon sa coutume, ouvrit sa fenêtre et respira un peu l’air frais en regardant la rivière qui fumait légèrement dans le fond de la vallée, puis se mit en devoir de faire sa barbe. Tandis qu’il passait son rasoir sur le cuir, une voix de chien courant, venant du côté des plateaux, arriva jusqu’à lui.