Aller au contenu

Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Voilà le cheval soigné, dit-elle ensuite ; mais vous, demoiselle comment souperez-vous ? J’ai bien de la soupe de choux et de raves, mais après ?

— Fais cuire des œufs.

— Bien… Mais il n’y a pas une goutte de vin ici, ni même de piquette….

— Alors, je boirai de l’eau.

— Et puis, le pain de méteil, cuit depuis plus de quinze jours, est bien dur !

— J’ai de bonnes dents, va !

Après ce mauvais souper, Mlle de La Ralphie se mit dans son grand fauteuil devant le feu, et, à la clarté d’un « calel » de cuivre pendu dans la cheminée, à faute d’autre luminaire, elle veilla longtemps, regardant fixement les braises du foyer qui éclairaient de reflets rougeâtres la grande taque de fonte à la croix pattée de Malte. La Géraude, congédiée après avoir apporté du bois, était allée dormir de l’autre côté de la cour, près de l’entrée, dans une vaste chambre aux dalles usées, creusées, où logeait sans doute, au temps des commandeurs, le frère d’obédience qui faisait les fonctions de portier. Nul bruit vivant à l’intérieur ; point de souris grignotant au fond d’un placard, ni de rats trottinant sur le plancher des greniers ; dès longtemps les rongeurs avaient quitté ce logis inhabité. Seul, l’air passant sous les portes et par les trous des serrures gémissait lugubrement à l’étage supérieur et dans les galetas sous les hauts toits de pierre. Dans la cour, un gros mâtin aboyait aux loups dont il percevait les émanations lointaines. Au dehors, le vent d’hiver passait sur les taillis en un bruissement continu comme celui d’une chute d’eau et faisait grincer, à la cime de la tour, la girouette fleurdelisée oubliée par la Révolution.