Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/38

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un ancien procureur du roi, révoqué en 1830 ; un capitaine de dragons en retraite, qui, dans la rue, portait sa canne comme un cierge ; Me Boyssier, le notaire de la noblesse, du clergé, des sœurs, et, pour tout dire, des gens comme il faut ; le percepteur, petit homme bilieux, qui avait la manie de tricher au jeu, même pour une prise ; le directeur du petit collège de Fontagnac, grand et gros homme qui s’était engraissé, disaient les mauvaises langues, en faisant jeûner ses élèves : celui-ci venait spécialement pour lire la Gazette de France et l’Écho de Vésone, journal de Périgueux.

Outre ces messieurs, légitimistes pour la plupart, il y avait encore quelques petits bourgeois, sans opinions bien prononcées, qui étaient neutres en politique, en religion, en tout, et n’exigeaient du gouvernement qu’une seule chose : qu’on pût faire tranquillement sa partie sans être troublé par les émeutes et les révolutions. Il y avait encore là M. Rufin de Lussac, appelé familièrement « le Commandeur », en raison d’un grade un peu problématique dans l’ordre portugais des « Confrères de Sainte-Marie d’Évora ». Ce personnage, que certains appelaient aussi M. Rufin tout court, était un grand diable sec, qui avait mangé son avoir et vivotait à Fontagnac d’une petite rente que lui faisait un parent, piquant l’assiette chez les gens bien pensants et gagnant au piquet quelque argent pour son tabac ; très poli, d’ailleurs, avec les formes raffinées du dernier siècle.

— Ah ! voici La Ralphie ! s’écria M. de Brossac. Et comment vous portez-vous, brave ami ?

— Mais pas mal ; et vous, cher président ?

— Moi, couci-couça ; je m’en vais tout doucement. Le Roi vient de mourir, mon ami, qui n’avait qu’un an de plus que moi : c’est un avertissement.