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Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/63

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sait dans une orgueilleuse satisfaction d’avoir en ce superbe jeune homme un dévouement désintéressé toujours prêt. Mais sa pensée, pourtant déjà très préoccupée des choses de l’amour, n’allait guère plus loin, retenue par sa fierté naturelle et ses préjugés de caste.

Mlle de La Ralphie n’était pas la seule à admirer la jeunesse rayonnante de Damase. Pendant quelque temps, Mme Boyssier s’était fait illusion sur l’intérêt qu’elle lui portait, mais, bientôt, ce ne fut plus possible. Sa sollicitude avait d’abord pris une forme protectrice, mais, à mesure que se développait cette adolescence radieuse, un sentiment nouveau envahissait son être. Mariée à dix-sept ans, avec M. Boyssier, plus âgé qu’elle de vingt ans, la femme du notaire avait obéi à des convenances de famille et de situation et n’avait jamais éprouvé les joies de l’amour. Elle n’avait connu de la vie à deux qui lui avait été imposée, que le devoir conjugal, accepté patiemment, sans plaisir, comme sans révolte, grâce à la placidité de sa nature. Lorsque entra Damase dans sa maison, elle avait la quarantaine, et son mariage, resté stérile, était, depuis de longues années, devenu purement nominal, par suite de l’indifférence blasée de M. Boyssier, qui, disait-on, lorsqu’il était clerc à Bordeaux, avait usé sa jeunesse en excès et mangé son blé en herbe. Mais, voici qu’à cette heure, le cœur de la pauvre femme s’éveillait à l’amour qu’elle avait ignoré. Elle avait des rêveries, des impatiences qui étonnaient la vieille Toinon ; elle prenait des soins de toilette inaccoutumés qui lui faisaient poser par ses amies des questions railleuses auxquelles elle s’efforçait de répondre délibérément sur le ton de la plaisanterie, mais que, seule, elle se remémorait en rougissant. Cette floraison tardive de l’amour la rajeunissait, et