Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chait sa cruauté. Il se sentait pris de compassion pour la pauvre femme, mais il dissimulait pour ne pas l’induire en une trompeuse espérance et s’en tenait à quelques banales paroles. Alors, déçue, au milieu du repas elle remontait chez elle.

Si cette situation eût continué, elle fût devenue malade sérieusement. Mais, une nuit, tandis qu’elle était couchée sur son lit en désordre, fiévreuse, malade d’amour, il lui sembla ouïr marcher dans la chambre de Damase. Aussitôt, elle sauta sur le tapis, et, sans se donner le temps de la réflexion, alla vers la porte, l’ouvrit délibérément et monta les premières marches de l’escalier avec décision. Mais, à mesure qu’elle montait, ses terreurs la reprenaient, la honte de son action l’envahissait, les jambes lui manquaient. Arrivée au palier elle s’assit sur la dernière marche et resta là haletante, affaissée, ses pieds nus sur les dalles froides. En songeant qu’entre elle et la vision du Bois-Comtal il n’y avait qu’une porte, elle soupirait et gémissait, de sorte que Damase oyant quelque bruit vint à la porte et la trouva tout en larmes.

Ce fut, pendant quelques mois, pour Mme  Boyssier, une vie heureuse et pleine. Les remords qu’elle éprouva d’abord disparurent, apaisés par le bonheur. La fougue des sens de son jeune amant la ravissait et son propre amour, sans cesse avivé par le plaisir, grandissait, insatiable dans sa plénitude. Cette situation était si nouvelle pour elle, qui n’avait jamais connu ni l’amour ni le plaisir, qu’elle sentait tout son être comme doublé par un puissant afflux de vie. Heureuse, elle était revenue à sa douceur habituelle, à sa bonté native ; elle éprouvait le besoin d’effacer, par de bonnes paroles à la Toinon, ses brusqueries passées ; de réparer, par des attentions constantes pour son mari, les torts quelle avait envers lui. Sa