Page:Eugene Simon - La Cité chinoise, 1891.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

persés, chacun de nous n’aurait pas tardé à se faire des amis et des associés ; mais quelle différence, malgré tout ! Changer de pays, c’est changer de cultures, changer d’habitudes. Cela ne se fait pas sans quelque peine. Ici tout nous est aisé, parce qu’il y a huit cents ans que tout nous est connu. Ici, tout nous parle des nôtres ; l’eau qui coule dans nos champs, ceux qu’ils ont créés, les arbres qu’ils ont plantés, leurs temples, leurs sépultures et jusqu’aux légendes que nos mères nous en racontent et qui peuplent de leur souvenir le coin du ciel sous lequel ils ont vécu. Ici, il y a huit cents ans que nous sommes chez nous. »

Ouang-Ming-Tse s’était tout à coup ému en terminant cette partie de son récit. Sa voix vibrait. Et moi, pourquoi ne l’avouerais-je pas ? j’étais au moins aussi ému que lui, mais pour d’autres causes. Je venais d’entendre ce paysan raconter l’histoire de sa famille pendant un passé de plusieurs siècles ; je venais de l’entendre faire revivre, revivre lui-même les générations qu’il avait fait défiler devant mes yeux ; et moi, me disais-je, enfant d’une civilisation réputée supérieure, à peine sais-je où sont enfouies les cendres de mes aïeux les plus proches ! Pourquoi ne dirais-je pas les larmes que cet aveu m’arrachait presque, l’amertume dont il remplissait mon âme ? Avec une force jusqu’à cette heure ignorée, ce grand nom de Patrie, qui cependant n’avait pas été prononcé, surgit à ma pensée, resplendissant d’une clarté toute nouvelle. Pour la première fois, la Patrie se révéla