Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/231

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ceux-ci qui, par une commune mort, sont descendus dans les ténèbres.

ANTIGONÈ.

Ne voilant plus mes joues délicates couvertes de mes cheveux bouclés, ne craignant plus de montrer, sous mes paupières, la rougeur de mon visage coloré de pudeur virginale, dénouant les bandelettes de ma chevelure et les liens de ma robe couleur de safran, je mène en me lamentant la pompe des morts. Hélas ! hélas sur moi ! ô Polyneikès, que tu as bien répondu à ton nom ! Hélas ! Ô Thèba, ta querelle, ou, plutôt, ce monceau de meurtres, a perdu la maison d’Oidipous, noyée dans un sang cruel, dans un sang lamentable. Quelle plainte, quelle lamentation des Muses unir à mes larmes en déplorant ta ruine, ô demeure, tandis que j’apporte ici ces trois corps qu’animait un même sang, mère et fils, joie de l’Érinnys qui perdit toute la race d’Oidipous, quand celui-ci comprit dans sa sagacité l’énigme de la cruelle Sphinx prophétique qu’il tua ? Hélas ! ô père ! Quel Hellène, quel Barbare, quel homme illustre des temps anciens, issu d’un noble sang, a subi des maux aussi grands que les tiens ? Ô malheureuse, combien je gémis lamentablement ! Quel oiseau, posé sur la cime d’un chêne ou d’un sapin, unira son gémissement à mes plaintes, privée que je suis de ma mère, accompagnant ainsi les lamentations que je répands, moi qui dois passer tout le temps de ma vie solitaire dans les larmes ? Qui pleurerai-je ? Pour lequel couperai-je d’abord les prémices de ma chevelure ? Sur les mamelles maternelles qui m’ont allaitée, ou sur les lamentables blessures de mes deux frères ? Hélas ! hélas ! sors de ta demeure avec tes yeux aveuglés, ô vieux père ! Montre Oidipous