Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/235

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jetant les imprécations que j’avais reçues de Laios ! En effet, je ne suis pas né tellement insensé que j’aie attenté à mes yeux et à la vie de mes enfants, sans que quelque Dieu m’y ait poussé. Que ferai-je donc, malheureux que je suis ? Qui conduira mes pieds d’aveugle ? Est-ce celle qui est morte ? Vivante, je le sais, elle l’eût fait. Est-ce le beau couple de mes fils ? Ils ne sont plus désormais. Suis-je assez jeune pour trouver moi-même ma nourriture ? Par quel moyen ? Pourquoi me tuer ainsi, Kréôn ? Tu me tues en effet si tu me chasses de ce pays. Cependant je n’entourerai pas tes genoux de mes bras suppliants ; je serais un lâche. Certes, je ne trahirais pas ainsi ma hauteur d’âme, bien que la fortune me soit mauvaise.

KRÉÔN.

Tu as bien dit, en refusant de toucher mes genoux, car je ne te permettrai pas d’habiter ce pays. Mais il faut porter un de ces morts dans la demeure. Quant à celui-ci qui est venu avec des étrangers pour renverser sa patrie, quant au cadavre de Polyneikès, jetez-le non enseveli hors des confins de cette terre ! Ceci sera proclamé à tous les Kadméiens : — Quiconque sera saisi couronnant ce mort ou le couvrant de terre, subira la mort. Qu’on le laisse non pleuré, non enseveli et la pature des oiseaux carnassiers. — Toi, ayant cessé de pleurer ces trois morts, rentre dans la demeure, Antigonè, et respecte les mœurs d’une vierge, en attendant le jour qui vient où le lit de Haimôn t’attend.

ANTIGONÈ.

Ô Père ! de combien de maux nous sommes accablés ! Combien je gémis sur toi plus que sur les morts ! En effet,