Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/35

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l’épée entourée d’or, il la tira de la gaine et fit signe aux jeunes hommes choisis de l’armée Akhaienne de prendre la vierge ; mais elle, ayant compris cela, parla ainsi : — Ô Argiens, qui avez renversé ma ville, je meurs de bon gré. Que nul ne me touche, car je tendrai courageusement la gorge. Par les Dieux, lâchez-moi ! Tuez-moi libre et que je meure libre, car, étant de race royale, j’aurais honte d’être appelée esclave chez les morts ! — Et les peuples applaudirent, et le roi Agamemnôn dit aux jeunes hommes de lâcher la vierge. Et dès que ceux-ci eurent entendu les dernières paroles de celui dont la puissance est la plus grande, ils la lâchèrent aussitôt, et dès qu’elle eut aussi entendu la parole du maître, ayant saisi son péplos, elle le déchira du haut de l’épaule au ventre, jusqu’au nombril, et montra ses mamelles et sa poitrine, très belles comme celles d’une statue ; puis, s’étant agenouillée, elle prononça ces paroles très lamentables : — Voici, ô jeune homme ! Si tu veux frapper cette poitrine, frappe ! Si tu préfères la gorge, la voilà ! — Mais lui, ayant pitié de la vierge, voulant et ne voulant pas, trancha enfin avec le fer les voies du souffle, et des sources de sang jaillirent. Pour elle, même en mourant, elle prit soin de tomber décemment, cachant ce qu’il sied de cacher aux yeux des mâles. Après qu’elle eut rendu le souffle par cet égorgement de mort, les Argiens s’empressèrent en soins divers ; et les uns couvraient la morte de feuilles, et d’autres amassaient des troncs de pins pour un bûcher. Et celui qui ne portait rien recevait ces paroles injurieuses de celui qui portait : — Ô lâche, tu restes là debout, et tu n’as rien pour la jeune fille, ni péplos, ni ornement ! N’offriras-tu rien à celle-ci dont l’âme était excellente et très courageuse ? — Voilà ce que j’ai à te dire sur ton