Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/388

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vivante, morte tu seras seule ma femme ; et, à ta place, jamais aucune autre épouse Thessalienne ne me nommera son mari ; aucune, même née d’un noble père, et fût-elle la plus belle des femmes ! Je prie les Dieux qu’il me suffise de garder mes enfants, n’ayant pu te conserver toi-même. Et je porterai ton deuil, non une année, mais tant que ma vie durera, ô femme ! Et j’aurai en haine ma mère et mon père, car ils étaient mes amis de nom, mais non en fait. Mais toi, donnant tout ce qu’il y a de plus cher pour me conserver la vie, tu m’as sauvé. N’ai-je donc pas de quoi gémir, en perdant une femme telle que toi ! Je mettrai fin aux repas, aux assemblées de convives, aux couronnes et aux chants qui remplissaient ma demeure. Jamais plus, en effet, je ne toucherai le barbitos, ni je n’exciterai mon âme à chanter avec la flûte Libyque, car tu m’as enlevé le charme de la vie. Mais ton corps, modelé par la main habile des artistes, sera placé sur le lit nuptial ; et je me prosternerai devant lui, je l’entourerai de mes mains, en criant ton nom, et je croirai serrer ma chère femme dans mes bras, bien que ne l’y tenant pas ! Froide consolation, je pense ; mais j’allégerai ainsi le poids de mon âme, et tu me charmeras, en m’apparaissant dans mon sommeil ! Il est doux, en effet, de revoir ceux qu’on aime, pendant la nuit, ou dans tout autre moment. Si je possédais la voix et le chant d’Orpheus, afin d’apaiser la fille de Dèmètèr, ou son mari, et de t’enlever du Hadès, j’y descendrais, et ni le Chien de Ploutôn, ni Kharôn, le Conducteur des âmes, avec son aviron, ne m’arrêteraient, avant que j’eusse rendu ta vie à la lumière ! Maintenant, du moins, attends-moi là, quand je mourrai et prépare ma demeure, afin d’y habiter avec moi. J’ordonnerai, en effet, qu’on me pose avec toi, dans le coffre de cèdre, et qu’on m’étende à tes