Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/46

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AGAMEMNÔN.

Hélas, hélas ! quelle femme a été aussi malheureuse ?

HÉKABÈ.

Aucune, à moins que tu ne nommes la misère elle-même. Mais sache pourquoi je tombe à tes genoux. Si je te semble avoir justement souffert, je me résignerai ; sinon, venge-moi d’un homme, le plus impie des hôtes, qui, ne redoutant ni les Souterrains ni les Ouraniens, a commis l’action la plus odieuse, lui qui s’est assis tant de fois à ma table, et à qui j’ai donné l’hospitalité plus souvent qu’à mes autres amis. Or, ayant tout reçu de moi et accepté la garde de mon fils, il l’a tué ! Et, s’il voulait le tuer, il ne l’a pas même jugé digne d’un tombeau, et il l’a jeté à la mer ! Mais si nous sommes esclaves et faibles, les Dieux sont forts et la loi qui les domine eux-mêmes est forte, et c’est par elle que les Dieux existent, et c’est elle qui détermine pendant la vie le juste et l’injuste. Si cette loi qui repose en toi est violée, si les meurtriers de leurs hôtes, qui méprisent les choses sacrées des Dieux, ne sont point châtiés, il n’y a plus aucune justice parmi les hommes. Tiens ceci en honte, respecte-moi, aie pitié de moi, et, comme le peintre qui s’éloigne un peu, vois, contemple mes maux. J’étais reine autrefois, et maintenant je suis ton esclave ; j’avais autrefois de nombreux enfants, et maintenant je suis vieille, sans enfants, sans ville, la plus malheureuse des vivants ! Hélas sur moi, malheureuse ! Pourquoi t’éloignes-tu de moi ? Je vois que je n’obtiendrai rien ! Ô malheureuse que je suis ! Pourquoi, nous mortels, nous efforçons-nous d’acquérir toutes les sciences et les désirons-nous, au lieu de nous empres-