Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, II, 1884.djvu/25

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marchant sur la pointe du pied et dit : — Ne voyez-vous pas ? Il y a là deux Daimones ! — Un de nous, très pieux, leva les mains et les adora : — Ô fils de la maritime Leukothéa, protecteur des nefs, ô maître Palaimôn, sois-nous propice ! Ou vous êtes les Dioskoures descendus sur le rivage, ou la chère race de Nèreus qui engendra le chœur bien né des cinquante Nèrèides. — Mais un autre, léger et d’une audace impie, rit de ces prières et dit que des marins naufragés s’étaient cachés dans cet antre, par crainte de notre coutume, ayant appris que nous égorgions les étrangers. Il parut à la plupart d’entre nous qu’il disait vrai et qu’il fallait poursuivre les victimes agréables à la Déesse, selon la coutume. Cependant, un des étrangers, ayant quitté la caverne, se tint debout, et, agitant la tête de tous côtés, gémit, les bras tout tremblants, et, furieux de démence, cria comme un chasseur : — Pyladès, vois-tu celle-ci ? Ne vois-tu pas ce dragon du Hadès qui veut m’égorger, armé contre moi de vipères horribles ? Elle souffle le feu et le meurtre et rame avec ses ailes sous sa tunique, portant ma mère dans ses bras ! Elle veut me jeter contre ce rocher ou m’écraser sous lui ! Ah ! elle va me tuer ! Où fuir ? — On ne pouvait voir ces apparitions, mais il mêlait des beuglements de veaux à des aboiements de chiens, comme font les Érinnyes, dit-on. Pendant ce temps, saisis de crainte et de surprise, nous restions muets ; mais, ayant tiré son épée et se ruant au milieu des bœufs comme un lion, il les perçait du fer et les éventrait, croyant repousser les divines Érinnyes, au point qu’une écume sanglante fleurissait sur la mer. Alors, chacun, voyant ses bœufs tomber égorgés, s’arma et souffla dans les conques pour rassembler les habitants. En effet, contre ces jeunes et vigoureux étrangers, nous ne pen-