Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, II, 1884.djvu/446

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reproches, d’être d’un sang vil ou pauvre ; car tu seras de bonne race, et tu abonderas en richesses. Tu restes muet ? Pourquoi as-tu les yeux baissés contre terre, comme absorbé dans la méditation ? Pourquoi, ayant déjà changé ta joie en tristesse, jettes-tu ton père dans la crainte ?

IÔN.

L’aspect des choses n’est plus le même, de près ou de loin. Certes, je me félicite de ma destinée, puisque je t’ai retrouvé, père ! mais écoute ce à quoi je songe. On dit que la nation de l’illustre Athèna est autokhthône, et non venue d’ailleurs. Je tomberai au milieu d’elle marqué de deux taches, né d’un père étranger et moi-même illégitime. Atteint par cet opprobre, je resterai sans force et serai appelé homme de rien ; et si je tente d’arriver au premier rang des citoyens, je serai haï des moindres, car les plus puissants sont odieux. Mais les bons et les sages, qui se taisent, et ne se ruent point aux choses publiques, se riront de moi, et je passerai pour un insensé de ne pas rester tranquille dans une Ville pleine de tumulte. Si, de nouveau, je m’élève en dignité parmi les hommes puissants qui gouvernent la Cité, je serai d’autant plus observé par ceux qui dirigent les suffrages. Voilà les choses qui ont coutume d’arriver, ô père ! Ceux qui détiennent les charges et règlent les affaires publiques sont très hostiles à leurs rivaux. Et quand j’entrerai, moi étranger, dans une famille étrangère, auprès d’une femme privée d’enfants, et qui, ayant partagé ta première infortune, et maintenant frustrée de son espérance, ressentira cruellement son malheur, comment ne lui serai-je pas odieux à bon droit, me tenant là à tes pieds, et lorsque, sans enfants elle-même, elle regardera ton fils avec amertume ? Alors,