Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 1.djvu/29

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15).

LE CHŒUR.

Quel cœur serait assez dur pour ne pas verser des larmes, en entendant tes gémissements et tes longues lamentations ?

ULYSSE.

Hécube, laisse-toi persuader ; que la colère ne te fasse pas voir un ennemi dans l’auteur d’un conseil utile. Je te dois la vie, je suis prêt à sauver la tienne, ma parole n’est point trompeuse ; mais ce que j’ai dit en présence de tous, je ne saurais le nier : après la prise de Troie, nous devons donner au premier de nos guerriers la fille qu’il demande pour victime ; car ce qui fait tort à la plupart des états, c’est qu’un homme brave et valeureux ne soit pas mieux récompensé que les lâches. Achille, ô femme, mérite d’être honoré par nous, lui qui est mort glorieusement pour la Grèce. Ne serait-il pas honteux, après avoir usé de son amitié pendant sa vie, de le méconnaître depuis qu’il n’est plus ? En effet, que dirait-on s’il fallait de nouveau rassembler une armée, et s’il se présentait un ennemi à combattre ? Courrions-nous aux armes, ou ne prendrions-nous pas soin de notre vie, en voyant cet illustre mort dont on n’honore point la cendre ? Pendant ma vie, quel que soit le peu que je possède, il me suffira ; mais puissé-je voir ma tombe honorée ! car cette gloire nous survit longtemps. Si tu te plains des maux que tu souffres, écoute-moi à ton tour : nous avons aussi des mères, des vieillards, non moins malheureux que toi, de jeunes épouses privées de leurs vaillants époux, dont la poussière de Troie recouvre les corps. Subis ton sort : pour nous, si c’est à tort que nous honorons un héros, on nous reprochera notre erreur. Peuples barbares, puissiez-vous ne point traiter vos amis en amis ! puissiez-vous ne point admirer ceux qui meurent