Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 1.djvu/435

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ration fut digne d’éloges. Je voudrais aussi pour ton honneur que tu n’eusses pas tué Phocus[1]. C’est par intérêt pour toi que j’en ai tant dit, et non par colère : si tu t’irrites, c’est que chez toi l’intempérance de langue est plus forte : moi, j’aurai l’avantage de la prudence.

le chœur

Ah ! mettez fin à ces vaines paroles, pour ne pas avoir tort l’un et l’autre.

Pélée

Oh ! quel mauvais usage règne en Grèce[2] ! Lorsqu’une armée érige des trophées sur les ennemis vaincus, on ne regarde pas cette victoire comme l’ouvrage des soldats ; mais le général en remporte toute la gloire, lui qui, sans avoir fait plus que les autres avec sa lance, recueille cependant toute la renommée. Ils siègent avec gravité dans les magistratures de l’état, et écrasent le peuple de leur orgueil, tout méprisables qu’ils sont ; à côté d’eux pourtant on en voit d’infiniment plus habiles, auxquels il ne manque que d’oser et de vouloir. Ainsi ton frère et toi vous êtes enflés d’orgueil pour la prise de Troie et pour avoir commandé nos armées, tout fiers ainsi des peines et des travaux d’autrui. Mais je t’apprendrai à ne pas regarder le berger Pâris comme un ennemi plus redoutable que Pélée, si tu ne disparais au plus tôt de ce palais avec ta fille stérile ; autrement le héros issu de mon sang l’en chassera, en la traînant par les cheveux. Cette génisse stérile, parce qu’elle n’a pas d’enfants, ne veut pas souffrir que d’autres enfantent. Mais parce qu’elle est malheureuse dans sa postérité, faut-il que nous en soyons

  1. Phocus, frère de Pélée ; l’un et l’autre étaient fils d’Éaque.
  2. Ce furent ces vers que Clytus prononça devant Alexandre, et qui causèrent sa mort. Voyez Plutarque, Vie d’Alexandre, et Quinte-Curce, I. VIII.