Pourquoi m’arracher ce poignard ? rends-le-moi, chère amie, rends-le-moi, que je perce mon sein. Pourquoi m’éloigner du lacet fatal ?
Puis-je t’abandonner dans ton délire, pour te laisser mourir ?
Ô destinée ! où trouverai-je des flammes amies pour me dévorer ? où pourrai-je gravir des rochers voisins de la mer, ou dans les montagnes couvertes de forêts, pour mourir et appartenir aux enfers ?
Pourquoi te tourmenter ainsi ? Les calamités envoyées par les dieux n’épargnent aucun mortel, soit dans un temps, soit dans un autre.
Tu m’as abandonnée, mon père, tu m’as abandonnée, comme un vaisseau sans rames et sans gouvernail sur un rivage désert. Mon époux me tuera, il me tuera : je n’habiterai plus sous ce toit conjugal. De quelle divinité irai-je en suppliante embrasser la statue ? Tomberai-je en esclave aux pieds d’une esclave ? Que ne puis-je m’élancer loin de la terre de Phthie, sur des ailes rapides, comme un oiseau ! ou que ne suis-je le navire qui, le premier poussé par la rame agile, franchit les îles Cyanées[1] !
Ma fille, je n’ai pas approuvé l’excès de tes torts envers cette Troyenne ; et maintenant je n’approuve pas
- ↑ Les îles Cyanées ou Symplégades, près du Bosphore de Thrace. Allusion au voyage des Argonautes. V. le début de Médée.