Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 1.djvu/534

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de lierre, large de trois coudées, et qui paraissait en avoir quatre de profondeur ; puis il mit sur le feu une marmite d’airain pour bouillir ; il prit des broches de bois d’épine grossièrement taillées avec la serpe, et dont l’extrémité avait été durcie au feu, et prépara des vases à recevoir le sang des victimes, grossièrement travaillés avec la serpe. Lorsque tout fut disposé par l’horrible cuisinier de Pluton, il saisit deux de mes compagnons, et les égorgea avec une certaine symétrie : l’un fut jeté dans une marmite d’airain ; il prit l’autre par l’extrémité du talon, et, lui brisant la tête contre l’angle du rocher, il fit jaillir la cervelle ; ensuite, enlevant les chairs avec son large coutelas, il les fit rôtir sur le feu, et jeta le reste des membres dans la marmite, pour les faire bouillir. Pour moi, malheureux, les yeux baignés de larmes, je me tenais près du Cyclope et je le servais. Les autres, comme des oiseaux tremblants, se retiraient dans les coins obscurs de la caverne, frappés de terreur, et le sang glacé dans les veines. Lorsque enfin, après s’être repu de la chair de mes compagnons, le Cyclope est retombé, et que I’haleine impure de son gosier infectait l’air, une pensée divine vint m’inspirer. Je remplis une coupe de vin pur de Maron, je l’offre à boire au Cyclope, et lui dis : « Cyclope, fils du dieu des mers, vois quelle boisson divine la Grèce exprime de ses vignes : c’est la liqueur de Bacchus. » Gorgé de ces mets abominables, il prit la coupe et la vida d’un trait ; puis il en fait l’éloge, et, levant les mains, il s’écrie : « O le plus cher des hôtes ! tu me fais boire une liqueur exquise après un repas exquis. » Le voyant ainsi réjoui, je lui remplis une seconde coupe, sur que le vin le dompterait, et nous aiderait à le punir. Déjà il en venait aux chansons ; et moi, versant coup sur coup, j’échauffais