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NOTICE SUR LES TROYENNES.

le polythéisme grec, c’est-à-dire une religion qui déifiait les passions humaines. La passion se produit en nous ; mais la passion, ce n’est plus l’homme lui-même, c’est la divinité qui agit en lui : donc l’homme n’est plus responsable de ses actes, car ils ne dépendent pas de sa volonté. C’est là le fatalisme moral, auquel aboutissait nécessairement le paganisme.

Et s’il était besoin d’une nouvelle preuve pour montrer que ces notions plus épurées sur Dieu et sur l’homme, par lesquelles Euripide corrige les opinions morales et religieuses de son siècle, lui appartiennent bien en propre, je la trouverais dans la réponse qu’il prête encore à Hécube : « N’accuse pas les déesses de folie pour parer tes vices (dit-elle à Hélène) ; mon fils était d’une rare beauté, et, à sa vue, ton cœur s’est personnifié en Vénus. Les passions impudiques des mortels sont en effet la Vénus qu’ils adorent[1]. »

Voilà en quelques mots l’explication véritable et la réfutation la plus nette du polythéisme anthropomorphique ; voilà ce qui faisait d’Euripide le digne disciple d’Anaxagore : ce sont les aperçus de cette raison supérieure qui lui ont mérité le nom de poète philosophe.


  1. C’est ainsi que Virgile a dit, Æneid. ix, 185 :

    An sua cuique deus fit dira cupido ?