Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 2.djvu/372

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bles que des reproches mérités. Ensuite les dieux m’ont enlevée de ma terre natale pour me transporter parmi les Barbares ; j’ai perdu tout ce qui m’était cher ; née libre, je suis esclave ; car chez les Barbares tous sont esclaves, hors un seul. Il me restait une ancre dans la tempête, l’espoir que mon époux viendrait me délivrer ; il est mort, il n’est plus. Ma mère a péri, et je suis la cause de sa mort ; accusation injuste, il est vrai, mais enfin cette accusation n’en pèse pas moins sur moi. Et ma fille, qui était l’ornement de ma maison, la gloire de sa mère, ma chère fille est condamnée à vieillir dans une éternelle virginité. Enfin les fils de Jupiter, les nobles Dioscures, ne sont plus parmi les vivants. Ainsi tout m’est contraire, et je puis me regarder comme morte, quoique je vive encore. Enfin, pour dernière infortune, si je retourne dans ma patrie, on me jettera dans les fers ; car on ne doute point que je ne sois l’Hélène d’Ilion, venue avec Ménélas. Si mon époux vivait encore, il m’aurait reconnue aux signes mutuels dont nous étions convenus, et qui n’étaient connus que de nous seuls[1]. Mais ce n’est plus possible ; je ne le verrai plus. Pourquoi vivre encore ? quel sort puis-je espérer ? Faut-il, pour un échange d’infortune, devenir l’épouse d’un Barbare, et m’asseoir à sa table opulente ? Ah ! lorsqu’un époux est odieux à sa femme, alors la vie aussi lui est odieuse ; mieux vaut mourir. Choisissons donc une mort honorable. Se suspendre à un nœud fatal est une fin déshonorante, même pour les esclaves ; le glaive a quelque chose de plus noble, et c’est une voie plus courte pour se délivrer de la vie. Tel est l’abîme de maux où je suis tombée. La beauté qui fait le bonheur des autres femmes, a causé ma ruine.

  1. On voit que le poète prépare la reconnaissance.