Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 2.djvu/371

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traversa les mers, pour venir dans mes foyers et posséder ma fatale, beauté ? La perfide Vénus répand la mort et le carnage ; Grecs et Phrygiens sont les victimes de sa fureur. Ah ! malheureuse que je suis ! Sur son trône d’or, Junon, l’auguste épouse de Jupiter, envoie le rapide fils de Maïa, qui m’enlève à travers les airs, au moment où je cueillais des roses et les réunissais dans mon sein pour le temple d’airain de Minerve, et il me dépose sur cette triste terre ; je deviens le sujet d’une querelle fatale entre la Grèce et les fils de Priam, et sur les bords du Simoïs un déshonneur non mérité poursuit mon nom.

Le Chœur.

Tu as bien des sujets de douleur, je le sais ; mais il faut supporter avec patience les maux inévitables de la vie.

Hélène.

Chères compagnes, à quelle destinée suis-je attachée ? ma mère en me mettant au monde a-t-elle voulu montrer aux hommes un prodige ? car nulle femme, ni Grecque, ni Barbare n’a jamais enfanté une blanche enveloppe comme l’œuf dans lequel, dit-on, Léda me mit au monde. Ma vie est un prodige et un tissu de calamités : Junon et ma beauté en sont la double cause. Plût au ciel que ces traits, comme les couleurs d’une statue[1], pussent être effacés et devenir difformes ! Plût au ciel que les Grecs pussent perdre la mémoire de la mauvaise renommée qui me poursuit, et conserver le souvenir de ma vertu ! Qu’un seul revers envoyé par les dieux, vienne fondre sur nous, quoique cruel, il est cependant supportable ; mais je suis en proie à mille calamités. D’abord je suis déshonorée sans être coupable ; et des accusations injustes sont plus péni-

  1. Il est bien connu maintenant que l’on peignait aussi les statues. Voy. Platon, Rép., l. iv ; Pausanias, vii, 26 ; Virgile, Æneid., i, 493 ; xii, 67 ; Pline, Hist. nat., xxxv, 10.