d’avoir transporté une nombreuse armée à travers les mers sous les murs de Troie, sans rien exiger par la contrainte, avec la seule autorité d’un roi sur les peuples libres de la Grèce. Plusieurs ont succombé dans cette périlleuse entreprise ; mais d’autres, échappés aux dangers de la mer, ont rapporté dans leur patrie les noms de ceux qui sont morts avec gloire. Pour moi, errant et battu des flots depuis que j’ai détruit les tours d’Ilion, je désire en vain revoir ma patrie ; les dieux ne daignent pas m’accorder l’objet de mes vœux : jeté tour à tour sur les rivages déserts de la Libye et dans des ports inhospitaliers, à peine je m’approche de ma patrie, que les vents me repoussent, et jamais un souffle favorable n’enfle mes voiles jusqu’au port désiré : et maintenant malheureux naufragé, après avoir vu périr mes amis, je suis jeté sur ces bords inconnus, où mon vaisseau s’est brisé contre les rochers ; il ne m’est resté que la carène et quelques débris, sur lesquels je me suis sauvé à grand’peine et par un bonheur inespéré, avec Hélène, que j’ai arrachée des mains des Troyens. J’ignore le nom de cette contrée et le peuple qui l’habite : je rougis de me montrer à la foule, et d’étaler mes haillons[1], la honte me fait cacher ma misère. Celui qui d’un rang élevé tombe dans la détresse, souffre bien plus cruellement de cet état nouveau pour lui, que celui qui fut toujours misérable. Cependant, le besoin me presse, je manque de pain, je manque d’habits pour couvrir mon corps. C’est ce qu’il est facile de reconnaître ; je suis revêtu de lambeaux échappés au naufrage ; la mer a englouti les manteaux, les riches vêtements, et tout le luxe de la parure. J’ai laissé dans une grotte voisine l’épouse
- ↑ On se rappelle les plaisanteries d’Aristophane contre les héros couverts de haillons qu’Euripide met souvent en scène. Voyez les Acharniens, 441.