Page:Europe, revue mensuelle, No 171, 1937-03-15.djvu/26

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espère retrouver T…, poursuivre notre délicieuse aventure. Aventure qui ne me laisse pas oublier où je suis, c’est-à-dire l’U. R. S. S., et bien moins encore l’orage qui menace au-dessus de nos têtes. Il en est ainsi à chaque saison, chaque été, il me suffit de lire les premières pages de ce carnet pour retrouver les mêmes inquiétudes, les mêmes angoisses, cette menace de la guerre. Mais quoi, cette menace se fait d’année en année plus précise, elle va devenir enfin une réalité. C’est pour bientôt le commencement de l’horreur et du chaos. Pour bientôt ? Je pourrais écrire le recommencement, parce que je l’ai vécue dans toute son horreur, l’autre guerre, celle de 1914-1918. Et ça me suffit. Je n’ai cessé de me dresser contre ce passé, ma vie entière en a été marquée, empoisonnée je puis le dire. Et voici que l’avenir, un proche avenir, s’annonce pareil à ce passé tragique. Moi, je ne me sens ni le goût ni la force de vivre cet avenir. Mais n’y serai-je pas entraîné ? Est-ce qu’on tiendra compte de mes désirs ? Oh non ! Je ne le sais que trop. Je serai emporté par le courant, et quel courant, qui nous poussera sur un rivage où règne la mort. Mes protestations et mes refus, tout cela est vain. Vain, également, cet acte d’écrire. Et c’est, pourtant, mon seul refuge, l’unique possibilité qui me reste de mettre de l’ordre dans ma pensée, de me préparer à la mort, de lutter contre le chaos, cette espèce de marée qui monte autour de nous. Je ne crois pas à cet acte d’écrire, je ne crois en rien, à peine si je crois que moi, Dabit, je suis vivant. Je suis séparé des quelques êtres qui m’attachent à la vie. De mes parents, dont je n’ai plus de nouvelles depuis une vingtaine de jours, et ma mère, ma pauvre, ma très chère maman, que devient-elle ? Je suis séparé de B…, de V… Coupé de mon passé, cet abandon de la rue P…-de-K…, la maison où durant dix années j’ai vécu. Tout semble aller vers sa fin. Que j’habite un atelier rue de la G…-C…, que se trouvent là