Page:Europe, revue mensuelle, No 190, 1938-10-15.djvu/109

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combat truqué, son merveilleux oubli du dégoût qu’un corps inspire à un corps, sa complaisance, son exaltation, sa bassesse. Comment Bernard n’eût-il pas confondu avec l’amour des éclairs de bonheur, la mort du temps, la compagnie de cette grande fille moite et nue, la connivence qui les faisait parfois rester longtemps immobiles pour un craquement entendu, avec le bruit du sang dans leurs oreilles qui couvrait tout comme une mer ? Le sixième jour, Claude arriva.

Il arriva comme tous les samedis dans sa voiture, vers les cinq heures après-midi. Bernard fut stupéfait : il avait entièrement oublié son frère.

Claude prit un bain, redescendit de sa chambre avec un costume de tweed, des bas, des guêtres blanches à mi-mollet ; Catherine sourit, Bernard eut envie de rire.

L’heure du dîner vint. La femme de chambre entra dans le salon et dit que Madame était servie, toute la machine de La Vicomté continuait à tourner parfaitement bien. À table, Mme Lyons demanda à Claude :

— Quel temps faisait-il à Paris ?

Mme Lyons était une très grosse dame qui portait des lunettes à monture d’or et un collier de perles : elle ne se souciait au monde que des plats qu’elle mangeait, de la température, la grande chaleur lui donnait des battements de cœur. Il lui arrivait pourtant de lancer un mot cruel que tout le monde trouvait admirablement exact, mais surprenant entre ces lèvres molles.

— Abominable, répondit Claude. Il fait tous les jours plus chaud. Nous avions hier dans les 32 à l’ombre, et ce matin, place de la Bourse, quand je suis monté en voiture, il faisait déjà 35…

— Vous verrez, dit Mme Lyons, que nous aurons aujourd’hui ou demain un orage terrible. J’en suis sûre, je n’ai qu’à écouter les palpitations de mon pauvre cœur…

— Dieu merci, dit Mme Plessis, on respire à la campagne où un bon gros orage n’est pas tellement désagréable.

— À propos de Bourse, demanda M. Rosenthal, comment marche-t-elle ?

— Tu n’es pas au courant ? dit Claude.

— Mais non voyons, répondit M. Rosenthal, tu sais bien