Page:Europe, revue mensuelle, No 191, 1938-11-15.djvu/56

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de la campagne noire et moite que des éclairs de chaleur illuminaient toutes les nuits.

Bernard marchait de long en large à travers la chambre, pieds nus, et il expliquait à voix basse à Catherine qu’il voulait l’arracher à la complaisance et à la mort, et qu’on ne pouvait accepter la vie qu’en lui posant des conditions, en la dominant par les plus difficiles exigences. Catherine lui demandait enfin ce qu’il attendait d’elle :

— Absolument tout, disait-il. Tout de suite. Pourquoi résistes-tu ?

Catherine résistait comme la vie, passivement.

N’était-elle donc qu’une femme armée pour le plaisir, mais mourant de l’amour du monde, de l’argent, de la considération, du respect ? Bernard s’effrayait de penser que peut-être Catherine était bête et qu’on triomphe de tout, mais non de la sottise, ou qu’elle n’avait aucune envie de quitter son mari, qu’elle le trouvait tolérable depuis qu’un autre homme l’aimait et la vengeait de l’existence de Claude, et qu’elle était capable enfin, comme la plupart des femmes, de jouir d’une vengeance dans le mensonge et le secret.

— Je veux, disait Bernard, que tu n’aies plus que moi, que tu recommences tout. Nous partirons, j’ai un peu d’argent, nous ne serons même pas très pauvres… Rien ne nous écarte l’un de l’autre, pas même un enfant, pas même des devoirs. Tu es libre comme une femme stérile, libre comme une orpheline. Tu ne leur dois rien… Après quelques mois de paresse et d’amour, nous serons devenus des compagnons, des complices, nous pourrons parler par sous-entendus, nous reviendrons. Je recommencerai la lutte, la colère… Tu verras, tu finiras par me suivre, c’est une vie qui donne la joie, tu seras complètement délivrée de ta première et de ta seconde vie…

— Ne me tente pas, répondait Catherine. Je ne sais pas où tu m’entraînes, laisse-moi encore attendre…

— Non, disait Bernard, les vacances ont assez duré. Il est temps que tu abandonnes tout.

Dix ans plus tard, Bernard n’aurait pas fait de projets, il se fût sans doute senti assuré de l’emporter par la patience. Mais un jeune homme se croit si mal établi dans sa vie qu’il