Page:Europe, revue mensuelle, No 191, 1938-11-15.djvu/57

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veut enchaîner violemment l’avenir, obtenir des gages, des promesses : il est le seul être qui ait le cœur de tout exiger et de se croire volé s’il n’a pas tout. Plus tard, il n’y aura plus que des contrats, des échanges.

Tout paraissait dû à Bernard ; il restituerait un jour tout ce qu’il demandait qu’on lui prodiguât. Il fallait que Catherine s’engageât pour toute sa vie. Pouvait-il ajouter qu’il souhaitait que sa victoire sur son frère et les siens ne fût pas une victoire clandestine, inconnue des vaincus, mais un éclat, une rupture qui fissent de Catherine le témoin public, rayonnant, scandaleux de son triomphe ? Il soupçonnait encore à peine ce secret, il disait seulement :

— Tu ne peux pas rester du côté de ce monde sans colère où tout s’arrange. Où l’argent seul doit rester indivis, où le cœur se partage…

Il sentait que Catherine fuyait, que chaque reprise de l’amour où elle l’entraînait la dispensait de répondre à tout et qu’elle ne l’embrassait si farouchement que pour avoir des raisons de se taire.

— Ne sommes-nous pas heureux ? répétait-elle.

— Non, répondait Bernard.

Ces nouvelles nuits blanches étaient pleines d’amertume de temps perdu.

Bernard reçut alors une lettre de Laforgue à qui il ne pensait plus. Philippe écrivait :

Mon Vieux Rosen,

« Tu trouveras jointe à cette lettre ma contribution modeste à la Conspiration : ces plans qui ne manqueront pas de te paraître obscurs comme des croquis de machines volantes de Léonard de Vinci sont commentés par quelques feuilles dactylographiés et par des bleus. Nos amis comprendront ces arabesques techniques. Ces plans sont ceux d’une chaudronnerie modèle qu’on vient d’achever aux ateliers du chemin de fer, que mon père dirige, comme tu sais.

« Je viens de rentrer d’Angleterre où j’ai passé six semaines et où j’ai exploré à pied le district des lacs ; il y a beaucoup à dire sur la Grande Bretagne et sur les Anglais, ce sera, si tu le veux bien, pour la revue.