Page:Europe, revue mensuelle, No 191, 1938-11-15.djvu/67

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dans un rapport moins étroit qu’avec ses camarades du parti — les fidélités de parti sont plus puissantes que les fidélités de la mort et du sang — mais il savait enfin qu’il pouvait demander à Régnier ce qu’on a le droit d’exiger d’un homme de qui on a été dans une guerre le témoin.

Carré avait beaucoup vagabondé en France depuis les arrestations du mois de juillet et son entrée dans l’univers difficile mais exaltant de l’illégalité. Il avait par hasard pensé à Régnier, dans une rue de Marseille, en voyant dans une vitrine le dernier livre de son compagnon de la Somme, à un moment où le parti lui demandait de revenir dans la région de Paris. Depuis son arrivée, Carré et Régnier qui s’étaient revus sept ou huit fois depuis dix-huit, avaient fait de nouveau connaissance, en parlant : c’étaient des hommes qui avaient des sujets de conversation.

Le communisme n’était pas seulement pour Carré la forme qu’il avait donnée à son action, mais la conscience même qu’il avait de lui-même et de sa vie ; sa rencontre avec Régnier lui donna des occasions d’exprimer des valeurs personnelles si profondes qu’il ne pensait pas plus à les remettre en question que les battements de son cœur. Rien ne troublait plus profondément Régnier que cette coïncidence d’une politique et d’un destin, cet agencement qu’il désespérait d’atteindre jamais entre l’histoire et l’homme : il posait des questions.

Ces entretiens se tenaient dans le jardin, sous des pommiers, quand Carré avait achevé son travail du jour, à l’heure où il était détendu, où il fumait et parlait, en passant sans cesse sa main dans la barbe qu’il avait laissée pousser et où paraissaient déjà des poils gris. Régnier lui demandait :

— Je ne comprends pas, le monde dont tu arrives me paraît à peu près impénétrable. Explique-toi.

— Ce n’est pas simple, répondait Carré. Des gens comme toi, qui pensent avoir tout lu, ne voient dans le communisme qu’un système d’idées parmi tous les autres. Comme s’il y avait des boîtes à étiquettes, la boîte socialisme, la boîte fascisme, la boîte communisme, entre lesquelles vous choisissez pour des considérations d’affinités, d’esthétique, d’élégance, de rigueur logique. Le communisme est une politique, c’est aussi un style de vie. C’est pourquoi l’Église nous