Page:Europe, revue mensuelle, No 191, 1938-11-15.djvu/68

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redoute et nous mesure sans cesse, bien que nous ne soyions pas anticléricaux et que nous n’ayions que faire de M. Combes ; elle sait que le communisme joue comme elle sur la certitude d’une victoire absolument totale. Aucune doctrine n’est moins pluraliste que le marxisme.

— Mais toi ? demandait Régnier. Les idées générales ne m’apprennent rien.

— Je suis communiste depuis le Congrès de Tours, pour des quantités de raisons, mais il n’y en a pas de plus importante que d’avoir pu répondre à cette question : avec qui puis-je vivre ? Je peux vivre avec les communistes. Avec les socialistes non. Les socialistes se réunissent et parlent politique, élections, et après, c’est fini, ça ne commande pas leur respiration, leur vie privée, leurs fidélités personnelles, leur idée de la mort, de l’avenir. Ce sont des citoyens. Ce ne sont pas des hommes. Même maladroitement, même à tâtons, même s’il retombe, le communiste a l’ambition d’être absolument un homme… Le plus beau temps de ma vie a peut-être été l’époque où je militais en province, où j’étais secrétaire d’un rayon. Il fallait tout faire, c’était un pays qui naissait ou qui renaissait, le comité de rayon faisait un boulot comme dans Balzac le médecin de campagne. En plus sérieux. Un communiste n’a rien. Mais il veut être et faire…

— Je ne vois toujours pas comment toi, un intellectuel, quelqu’un de descendance critique, disait Régnier, tu peux accepter une discipline qui s’étend jusqu’à la pensée. J’achoppe toujours sur cette pierre.

— Invincible libéral, répondait Carré, infidèle à l’homme. Vous mettez toutes choses sur le même plan. Vous êtes perdus d’orgueil, vous voulez avoir le droit d’être libres contre vous, contre vos amours mêmes. Chaque adhésion vous paraît une limitation. Vous avez immédiatement envie de vous déjuger pour vous démontrer que vous êtes libres de rejeter ce que vous veniez d’embrasser. Et fiers avec ça et gœthéens : « Je suis l’Esprit qui toujours nie… » Quand cessera-t-on de vivre avec l’idée qu’il n’y a de grandeur que dans le refus, que la négation seule ne déshonore pas ? La grandeur n’est pour moi que dans l’affirmation… Il est vrai que tel jour, telle nuit, j’ai pu me dire : le parti a tort, son