Page:Europe, revue mensuelle, No 191, 1938-11-15.djvu/79

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lettre se déchire ou s’oublie, qu’il eût fallu sa voix, sa colère, l’éloquence du cœur, sa présence, son corps. Avec quelle effrayante aisance obéissait-elle donc aux conditions de son pardon ? Se disait-elle simplement qu’elle l’avait échappé belle ?

Bernard reçut enfin une lettre de Catherine, en novembre. Elle le suppliait de ne plus écrire, de ne plus chercher de rencontres.

— Comprenez, écrivait Catherine, que je ne veux simplement plus vous revoir. Mon pauvre Bernard, je ne suis pas faite pour vos défis et pour votre amour des orages : vous en exigiez trop d’une femme pareille aux autres.

Vous êtes terrible, vous voulez tout d’une femme, vous n’aurez jamais rien. Pendant des semaines vous m’avez aveuglée sur vous, sur moi, sur votre mère, sur mon mari et c’est fini, voilà tout, je suis réveillée, je revois clair. Ils ont été simplement parfaits : comment aurais-je pu deviner que Claude fût capable de dignité ?

Votre terrible orgueil vous perd, vous qui ne valez pas plus que tous les autres, qui n’êtes qu’un peu différent. Ce drame est arrivé parce que vous l’avez voulu : je me suis demandé, je me demande encore si vous n’aviez pas vous-même averti mon mari, si vous ne l’avez pas délibérément conduit jusqu’à la chambre où je dormais… Je ne sais comment je vous ai si faiblement résisté, comment je n’ai pas compris cet été même que vous croyiez m’aimer quand je n’étais pour vous que l’occasion de vous venger des vôtres. Comme vous respirez aisément dans le scandale ! Moi pas. Il me semble que je suis en convalescence…

Peut-être nous reverrons-nous un jour. Tout s’oublie. Oubliez-moi encore, pensez à vous.

Bernard se dit avec rage que Catherine s’était rangée avec le parti de l’ordre contre lui. Quel pouvoir de retraite et d’oubli !

— Moi, pensait-il, je n’oublie rien de son corps… Et il n’y a pas d’autre vérité qu’un corps.

Il est difficile de consentir au désespoir, à la reconnaissance des choses finies. L’amour a la vie dure comme la vie : cette lettre qui tombait du ciel rétablissait une espèce