Page:Europe, revue mensuelle, No 191, 1938-11-15.djvu/78

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frère ni sa femme. Il n’y aura aucune rupture publique : je ne tolérerai pas le scandale. Plus tard, nous verrons…

— Le temps n’arrange rien, dit Bernard. Ne faisons pas de projets. Est-ce tout ?

Était-ce tout ? Il attendit encore. Personne ne criait ? Personne ne s’élançait sur lui ? Il avait eu un moment d’espoir quand Claude l’avait traité de salaud. C’était fini, ils se taisaient tous, ils se mettaient en boule, ils amortissaient le coup.

— Espèrent-ils que je vais me rouler à leurs pieds, ou pleurer ? J’ai l’air d’un imbécile, il ne se passe rien. Pas de tragédie. Pas de comédie larmoyante. À peine un drame bourgeois, du mauvais Diderot, ce moyen terme…

Bernard se leva et marcha au fond du salon vers Catherine. La cigarette de Catherine, presque complètement consumée, fumait encore dans le cendrier. C’était le temps de la résolution. Catherine le regardait venir, elle redressa le buste, croisa les doigts. Mme Rosenthal se leva. Claude retenait son souffle.

— Partons, Catherine, dit Bernard. Viens mettre ton manteau…

Catherine leva les yeux et regarda Bernard.

— Allez-vous en, dit-elle.

— Va-t-en, dit Mme Rosenthal.

Tout le monde commença à bouger, Catherine décroisa ses jambes et ses doigts, s’abandonna contre le dossier, ferma les yeux. Claude embrassa sa mère, Bernard sortit.

XIX

Les jours passaient ; Bernard ne retournait pas avenue Mozart, où sans doute, pensait-il, ils se disaient, tous que le moment le plus dur était loin, qu’après un amortissement ambigu des passions, la vie recommencerait.

On prenait des précautions contre lui : il n’arriva pas à revoir Catherine, à lui parler. Il se heurta à cet affreux rempart des regards dérobés des femmes de chambre : Catherine n’était jamais là. Il écrivit des lettres, sans en attendre de grands effets, des messages perdus, en se disant qu’une