Page:Europe, revue mensuelle, No 191, 1938-11-15.djvu/81

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protégeait plus que l’espoir d’un coup de téléphone, ou de l’entrée de Catherine qui soudain lui paraissait fatale.

À onze heures, Catherine n’était pas venue, le téléphone n’avait pas sonné ; il appela l’appartement de l’avenue de Villiers, la femme de chambre lui dit que Madame était rentrée et ressortie et que sans doute elle était allée dîner chez la mère de Monsieur. Bernard demanda Catherine avenue Mozart et dit à la femme de chambre que c’était M. Adrien Plessis qui voulait parler à Mme Claude Rosenthal. Catherine vint à l’appareil :

— Tu as reçu mon pneu ? demanda-t-il.

— C’était donc vous ! s’écria Catherine. Oui, j’ai reçu votre pneu.

— Que réponds-tu ?

— Rien, dit Catherine, je n’ai rien d’autre à vous dire.

Catherine raccrocha.

Bernard voyait la petite scène avenue Mozart, les conversations suspendues pendant que Catherine téléphonait dans le petit salon, la rentrée de Catherine. Mme Rosenthal devait dire à sa belle-fille de sa voix des grands jours :

— C’était ce malheureux enfant, n’est-ce pas ?

Sans doute était-il pour eux ce malheureux enfant, contre qui il fallait avoir tant de courage et qui était tellement dangereux, et comme c’était bien que Catherine fût redevenue aussi dure que la morale des Rosenthal le voulait.

— Ils sont sûrs que je vais me rendre, pensa-t-il. Que j’implorerai leur pardon.

Un Rosenthal ne pouvait pas être éternellement coupable, éternellement ennemi de son clan. Les excuses qu’ils inventaient pour expliquer leurs fautes, leurs échecs, leurs défaillances, avec l’habileté aveugle de l’instinct, comment ne les eussent-ils pas fabriqués même pour lui ? Sages comme des araignées, ils préparaient de loin les reprises de la vie. Ils devaient déjà travailler pour lui la parabole de l’enfant prodigue, comme s’ils savaient que tout rentrerait à la fin dans l’ordre Rosenthal, que dans trois mois, dans six mois, la crise amortie, la pénitence finie, il reparaîtrait avec le regard modeste des fils prodigues, des frères infidèles, des amants consolés, des coupables amnistiés, qu’il consentirait à poser