Page:Europe, revue mensuelle, No 191, 1938-11-15.djvu/88

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Il ouvrit la fenêtre pour refermer les volets, un coup de vent entra dans la chambre. Philippe tourna le commutateur ; la chambre s’éclaira de la même lumière que la nuit où Bernard était mort. Au moment de partir, M. Rosenthal dit :

— Je crois que nous pouvons éteindre. Vous n’oubliez rien ?

Laforgue s’inclina gauchement. M. Rosenthal le fit passer devant lui ; dans l’escalier, il lui demanda soudain d’une voix timide :

— Est-ce que mon fils vous parlait quelquefois de moi ?

Laforgue fut bouleversé par cet aveu de défaite et cette soudaine soumission, mais il n’allait pas manquer cette première occasion de venger Rosenthal :

— Jamais, dit-il.

M. Rosenthal soupira.

Laforgue prit un taxi pour rentrer rue d’Ulm et le chauffeur protesta parce qu’il y avait seulement la rue Gay-Lussac à monter, mais Laforgue était impatient de classer les secrets de Rosenthal, d’y trouver Dieu sait quelles réponses, quelles découvertes, quel testament, et la figure la moins menteuse d’un mort. Rue d’Ulm, Bloyé l’attendait. Laforgue jeta sans mot dire les deux chemises qu’il avait eu le temps d’ouvrir dans le taxi. Bloyé les ouvrit à son tour :

— Tu reconnais ? demanda Laforgue.

— Je reconnais, dit Bloyé. Quelle drôle d’histoire !

C’étaient les notes interrompues d’André Simon et les plans de la chaudronnerie, ce qui restait de la grande conspiration du dernier printemps.

— Il nous avait donc menti, dit Bloyé, il n’en avait rien fait.

— J’en ai toujours été sûr, dit Laforgue. Tu ne te rappelles donc pas son impatience quand nous lui demandions où en était l’affaire ? Il a fini un jour par me dire que tout était transmis, qu’il mettait d’autres choses au point, et il mentait. Mais il avait vécu un mois ou deux sur les songes de cette aventure…

— Il était ainsi, dit Bloyé.

Tous deux rêvèrent un peu sur la disproportion et les écarts singuliers qu’il y avait toujours eu entre leurs ambitions et ce qu’ils en avaient accompli, et sur l’avortement de plusieurs entreprises.