Page:Europe, revue mensuelle, No 93, 1930-09-15.djvu/28

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merveille des voyages. C’était un mot où pendaient bien des ornements littéraires et moraux. Les souillures de la morale gâtaient tout.

Pas de voyages en Europe : nous en étions venus à regarder cette mince bande de territoires, ce surjeon de l’Asie comme un bloc, comme la masse de notre pays natal. On parlait d’elle comme d’un être unique, voué aux malheurs d’un unique destin : il y avait notre patrie, l’Europe, et nous. C’était d’elle qu’il était important de se débarrasser. Ailleurs reposaient les autres continent, chargés des forces, des vertus, des sagesses absentes de notre province. Tout valait mieux qu’elle et qu’elle tout entière. Et en effet l’ombre des cartels allemands, des milices fascistes, des textiles anglais, des bourreaux roumains, des socialistes polonais était aussi noire et froide que celle du comité des Forges et des usines de Saint-Gobain : mais nous n’en savions rien. Nous pensions vie intérieure quand il fallait penser dividendes, impérialisme, plus-value. Saisissez que nous étions en proie au vague des passions, que nous étions emportés dans un tourbillon d’apparences sentimentales. Notre éducation avait été assez mal faite, assez artificiellement conçue pour que nous pensions sans rire à la Justice, au Bien, au Mal : nous vivions dans le ciel, après tout. Mais toutes nos forces nous tiraient du côté de la terre.

Franchissons donc les frontières de cette presqu’île limitée par des mers et les poteaux frontières de la Russie. Condamnons cette taupinière avec ses tas de scories. Les professeurs eux-mêmes, complices patients des poètes, parlaient de son déclin, les philosophes décrivaient la décadence de l’Occident. Comment savoir que la décadence véritable du monde était manifestée partout, dans les fabriques américaines, dans les guerres coloniales, les comptoirs africains ? Comment savoir que tout pouvait recommencer un