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Page:Europe, revue mensuelle, No 94, 1930-10-15.djvu/61

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Tout à coup le corps doit se mettre à l’étude de ses mouvements, il a un an, il faut qu’il invente sa position chaque fois que le vent tourne, en même temps qu’il perd sa peau au grand soleil des tropiques. Il pèle et il tombe : où l’esprit trouverait-il le temps de penser à mal.

On ne pense plus qu’à des événements simples mais essentiels quand les membres et les yeux rencontrent un nombre dérisoire d’objets à formes régulières : un pont tremblant de vibrations et de vagues, deux mâts, une antenne, un compas, une machine Diesel.

Quant au fameux secret caché dans les navires, celui qui les habite ne le trouvera pas. Un escalier de fer glissant d’huile avec des marches coupantes comme des os descend dans le gros ventre de la cale. Où mène-t-il vraiment ? se demande-t-on les premières nuits ; au-dessous du niveau de la mer qui n’existe d’ailleurs pas plus que le niveau d’une poitrine, d’une hanche ? vers les fosses ? pourrait-on continuer vers ces refuges d’extraordinaires poissons avec des abdomens soufflés et des yeux au bout d’antennes, vers les pavillons rouges et verts des algues ? Ce serait changer d’air dans des sortes de prairies pour hippocampes, araignées de mer, anémones. Mais on arrive dans une étable de fer bouillant, secoué par les coups des machines, le pouls de la vapeur. C’est le monde, avec ses fermetures à droite et à gauche, ses planchers, ses plafonds, il y a des piliers de métal rouge, des tuyaux, des membrures comme à l’intérieur d’un thorax, des ruisseaux avec des arcs-en-ciel de pétrole, des lampes qui se balancent comme des pendules. Espérez-vous monter jusqu’à Saturne en poussant à bout l’escalier de la tour Eiffel ! Haut et Bas. Ne pas renverser : le monde n’est qu’une caisse. Il faut penser sérieusement qu’on ne peut pas monter dans le ciel, descendre sous les eaux