Page:Europe, revue mensuelle, No 94, 1930-10-15.djvu/65

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imaginaire : au commencement des voyages, elle ressemble à la liberté parce qu’elle est comparée à l’esclavage horrible de la vie qui précédait la mer. Mais voici ce qu’elle est : une licence de certains mouvements physiques, plus de contrainte à des gestes que d’autres ont voulus. Une aisance inconnue. Les routes de terre et de mer ont une faible densité d’habitants et ceux qui vivent sur elles ne sont pas gens à prescrire et à défendre tel ou tel mouvement. Les membres peuvent réellement se mettre à l’air, se donner de l’air : nul geste qui soit encombrant, ou inconvenant, ou obscène, pas de foule que le coude puisse heurter, aucun de ces gestes honteux que font les êtres de la foule, comme de presser sournoisement les hanches si larges d’une femme, de se regarder à la dérobée dans tous les miroirs des rues pour contrôler son personnage, comme de cracher vite et en se détournant dans un mouchoir. Vous pouvez uriner librement dans la mer : nommerez-vous ces actes la liberté ?

La liberté est un pouvoir réel et une volonté réelle de vouloir être soi. Une puissance pour bâtir, pour inventer, pour agir, pour satisfaire à toutes les ressources humaines dont la dépense donnera la joie.

Les voyageurs sont comme les autres tirés de toutes parts par les puissances qu’aucun objet ne satisfait, par l’amour sans amant, l’amitié sans ami, la course sans parcours, le moteur sans mouvement, la force qui n’a jamais d’actualité : il n’y a pas d’objet, de dessein, d’occasion. Libres comme les sages qui paralysent une par une les parties de l’humanité et qui appellent sagesse cette mutilation : il est grandement temps de n’être plus stoïques, vous n’aurez pas de ciel où rattraper le temps.

Fuir, toujours fuir pour ne plus penser que vous êtes mutilés ?

Je n’invente pas des contes littéraires : j’ai connu