Page:Europe, revue mensuelle, No 94, 1930-10-15.djvu/64

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tachement volontaire à un lieu et à un genre particulier d’action, une méthode constante ne détruisent pas les passions, peut être puissant sur ces causes et les démêler. Il faut donc, pour demeurer, pour dire ma demeure sans rougir, aimer la puissance véritable. Les vrais voyageurs et les vrais évadés sont impuissants.

Il n’y a que de maigres vérités dans les expressions proverbiales, mais quand on dit aux enfants que les alouettes ne tombent pas rôties dans la bouche, on leur communique une sentence efficace, cette pensée simple que les événements ne tombent pas du ciel.

Les voyageurs ne possèdent plus pour assurer leur vie que la surface du corps, la peau avec ses organes du chaud et du froid, la vue, l’odorat, l’ouïe. Ils ne quittent pas le désœuvrement pour rencontrer l’amour lui-même, les femmes leur sont interdites. Elles ne courent pas les routes : pas de vivants plus attachés et plus patients que les femmes qui poursuivent en bougeant à peine des actions très profondes dont elles ne savent presque rien, je connais une femme qui ne sait pas qu’elle a des ovaires et qui a des enfants. Ils couchent parfois avec celles qu’ils trouvent à portée de leurs mains, troublées par chance et ouvertes comme l’on dit que les juments en chaleur étaient fécondées par les vents, mais elles ne les suivent pas, elles sont trop absorbées dans leurs travaux éternels. Ils ne les possèdent pas ni ne sont possédés, ils n’ont qu’un usufruit des corps hostiles à ces impatients.

Quelle patience eût-il fallu pour gagner et connaître cette femme assise au soleil dans le jardin de Gezireh, le long du Nil.

Voyageurs, devenez de plus en plus vides et tremblants, malades de l’agitation de votre mal, vous aurez beau jeu de vous rassurer en répétant que vous êtes libres, que cela au moins ne vous sera pas enlevé. La liberté de la mer et des chemins est tout à fait