Page:Europe, revue mensuelle, No 94, 1930-10-15.djvu/71

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des missions, poussière de la chrétienté en morceaux, une loge maçonnique, ce qu’il faut au bonheur.

Les chemins pierreux portent des chameaux qui traînent des tonnes d’eau, des voitures de vidange, des autos américaines conduites par des somalis à turban, des soldats anglais et hindous, des peuples mélangés. Aden fut toujours marché et place forte : emporium, vetissumum oppidum Aden, dit Claude Morisot en 1663.

Aden bourdonne comme un grand animal rugueux couvert de mouches et de taons, roulé dans la poussière. Les ruelles du Bazar serrent des foules entre les murs des échoppes, les pièces de soie sortent des métiers à mains comme de beaux serpents de couleur, les changeurs banyans assis, en redingotes luisantes, sur le pas de leurs portes font rouler d’une main à l’autre des piles de roupies, de souverains et de ces dollars Marie-Thérèse avec lesquels les Anglais achetèrent vers 1839 les environs de la presqu’île.

Accroupis à la porte de petits cafés enfumés, les hommes bienheureux fument des pipes à eau, raniment leurs charbons. Ils ont quelquefois le dos recouvert de ces ventouses faites d’une corne de chèvre, qui aspirent le mauvais sang des maladies. Le café tient une place extraordinaire. C’est un des lieux où l’on atteint la béatitude. On peut lire les récits des vieux voyageurs : les cafés au moins ne changent pas. Niebhur qui fut en Arabie vers le milieu du XVIIIe siècle les décrit :


« On n’y voit pas d’autres ornemens que des nattes de paille étendues par terre ou sur des banquettes de maçonnerie. Sur le foyer de la cheminée, il y a des pots à caffé de cuivre bien étamés en dedans et en dehors avec bon nombre de tasses. On ne sert pas d’autres rafraîchissemens dans ces cabarets orientaux qu’une pipe de tabac à la turque ou à la persane et du