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Page:Europe, revue mensuelle, No 94, 1930-10-15.djvu/84

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musée était un ancien sergent de l’armée britannique. Quarante années d’Aden. Déchu aux yeux anglais, jusqu’à fumer les cigarettes en cornet des indigènes, porter une foutah, faire l’écrivain public pour les Arabes. Assis devant sa porte, il regardait couler un petit filet intarissable d’ennui. Il ne connaissait plus personne dans son comté d’Angleterre qui portât encore son nom : aucune raison d’aller voir des arbres sous lesquels ne marchent pas des visages de connaissance. Il se saoulait tous les soirs, craignant la folie et défendu de ses coups par l’alcool. Il était comme une pierre rouge, en dehors des courants où presque tous les hommes s’arrangent pour nager. Personne parmi les Européens ne savait qu’un Anglais avait trouvé ce gîte, ou cette noyade corps et biens. On lui avait refusé la faveur de prendre part à cette comique petite guerre anglo-turque autour d’Aden, il ne s’en consolait pas, ce refus lui avait signifié sa faiblesse. Le désir de tirer des balles perdues du côté des avant-postes turcs avait été son dernier rêve au sujet de l’action. Il perdait ses souvenirs sans se débattre comme un vieux corbeau perd des plumes : tel est le dernier fruit de l’amour des voyages. On comprend trop facilement les clefs qui ouvrent ces deux vies, si semblables, si également éloignées de la vie humaine. Inutile de chercher là où ils ne sont pas les secrets qui combinent les destins.

Tous les êtres accrochés à Mr B… comme les poissons pilotes à leur squale mouraient de la même mort que lui.

Que faire parmi ces gens-là ? Que faire des jeunes femmes anglaises ? Elles ont des yeux de verre si bien limités qu’on peut être amené à croire que ces prunelles voient. Puis un jour on se dit simplement « c’est vivant » comme les bonnes gens devant le Scribe accroupi, au Louvre, le dimanche.