Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/108

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nous détromper, mais nous voyions nos maîtres assez puissants pour interdire aux rêves de faire leur entrée au grand jour. De là des évasions qui paraissaient fatales, nous ne nous apercevions pas que tout le monde était bien content de nous voir partir, que tout le monde nous y encourageait. Tous ces donneurs de conseil rateront leur mauvais coup de bien peu : qui donc ne donnait pas de louanges aux diverses incarnations de la retraite, à la profondeur, à la confession, à l’introspection, à certaine poésie, au jeu de billard, aux religions, au cinéma, aux romans d’aventure, aux journaux policiers, aux raids d’aviation ? On plaçait haut dans la civilisation les romanciers des aventures intérieures, les psychologues de la conversion, on félicitait les jeunes gens et les petits employés de se faire des mondes imaginaires : cela s’appelait par exemple le temps retrouvé. On suggérait que le bouddhisme même est charmant. Pendant ce temps-là nos maîtres étaient bien tranquilles, quand vous pensez à retrouver le temps perdu vous ne mettez rien en danger. Fuir signifiait qu’on renonçait à regarder de près le monde qu’on fuyait, qu’on renonçait à demander des comptes le jour où on aurait compris. Allez jouer et laissez les grandes personnes tranquilles. Il y avait un plan merveilleusement établi pour faire oublier les maux présents et leurs remèdes. Toute recherche présente met en péril l’ordre. Vous vous croyez innocent si vous dites : j’aime cette femme et je veux conformer mes actes à cet amour, mais vous commencez la révolution. D’ailleurs votre amour ne réussira pas. Quel péché si vous réclamez la liberté et si vous annoncez que vous voulez faire quelque chose pour elle ! Vous serez rejeté : revendiquer un acte humain c’est attaquer les forces maîtresses de tous les malheurs. Ces réclamations présentes sont simples : le jour où je me suis mis à y penser, je me prenais pour Colomb, pour