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Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/114

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Quand on a dit qu’il y a des paysages où l’on crève de froid, d’autres où l’on se dessèche de chaud, et qu’il n’est possible de vivre facilement qu’entre les deux, il n’y a plus grand chose à ajouter sur la poésie de la terre. Les territoires ne sont pas des associés, ni des professeurs de morale, ni des missionnaires préchant ici l’ordre, là le désordre : tout est en nous. Ils ne persuadent rien. Ce lyrisme est tout à fait vide de matière.

Les hasards vous ramèneront seulement à l’ordre et au désordre des troupeaux humains qui sont dans les paysages et vous serez forcés de juger, d’aimer, de détester, de céder, de résister : l’homme attend l’homme, c’est même sa seule occupation intelligente. Alors on ne confondra pas le bien-être rural avec une communion, les mélanges de couleurs avec les inspirations de la grâce efficace : il ne faut pas se croire sauvé parce qu’on est heureux de voir des blés verts : les familles qui descendent le dimanche à Nogent-sur-Marne épuisent tout ce qui peut dans la nature émouvoir réellement un cœur.

Parlez-moi aussi longtemps que vous voudrez de ce que l’homme fait sur ces scènes tournantes et il y a des chances pour que je vous comprenne. Un jugement humain est seul intelligible, même s’il s’agit de la terre : les paysages mélancoliques sont ceux où les enfants meurent de faim, les paysages tragiques sont ceux que traversent des files de gendarmes casqués et des convois de canons, les paysages exaltants ceux où n’importe qui peut embrasser une femme sans trembler de froid ou de peur. Je ne comprends que ceci, que les pays offrent des résistances inégales aux désirs et à la joie. Si je peux vivre en homme dans les quatre éléments, tout pays me sera bon : que je respire d’abord. L’amour de la beauté pourra bien m’envahir lorsque je serai vieux. Mais vous me faites rire avec